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Analyse: Les ambitions contrariées de la politique culturelle

La vie culturelle reste très modeste en Tunisie. Approchée par La Presse, la directrice du théâtre El Hamra et entrepreneure culturelle impute cet état des lieux à l’absence d’une réelle volonté pour promouvoir une vraie politique culturelle. « On ne peut point promouvoir la scène culturelle et initier une politique en la matière du jour au lendemain et d’une manière non pensée, intempestive. Il n’est pas non plus suffisant d’approuver des projets de loi pour parler d’une politique culturelle », affirme-t-elle.

Une séance d’audition de la ministre des Affaires culturelles, Hayet Ketat Guermazi, s’est tenue mardi dernier à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) à Tunis. À cette occasion, deux projets de loi relatifs au secteur culturel ont été examinés par les députés au cours d’une séance plénière. Au terme d’un long débat, il a été décidé de réexaminer en commission le projet de loi de finances relatif au théâtre et de reporter l’examen d’un autre projet de loi sur le fonctionnement des institutions à vocation culturelle.

« La révision de la loi n° 113 du 30 décembre 1983 relative à la loi de finances de 1984 concerne le fonctionnement du théâtre national et stipule la poursuite des programmes et manifestations théâtrales régionales et le décaissement de leurs budgets respectifs », rapporte la Tap.

Pour ce qui est de la nouvelle loi relative aux institutions publiques de travail culturel (décret n° 121 de 2011 en date du 17 novembre 2011), on a convenu de supprimer la vocation culturelle de ces centres. En prévision de la mise en place d’un cadre juridique qui organise le travail et le fonctionnement des théâtres régionaux, les centres d’arts dramatiques et scéniques qui en faisaient partie ne seront plus sur la liste.

Centres d’arts dramatiques, bientôt la fin ?

Revenant sur les grandes lignes de la politique culturelle du pays, la ministre a fait observer que l’aménagement des institutions culturelles était sous la responsabilité des conseils régionaux et que le rôle du ministère se limitait à l’allocation des fonds. A ce titre, les 26 centres d’art dramatiques et scéniques des régions ne sont donc pas régis par la loi et fonctionnent avec l’autorisation de la présidence du gouvernement qui prendra fin le 31 décembre 2023, d’après la ministre. Le temps donc presse pour penser à l’après.

Concernant les festivals d’été, la ministre a affirmé qu’en 2022, le budget alloué aux festivals se situait aux alentours de 5,8 millions de dinars. Alors que pour cette année, il est de 1,8 millions de dinars, soit une baisse de près de 70%.

En deçà des attentes

Le nombre des employés du ministère des Affaires culturelles est passé de 2.700  à 9 mille agents après la révolution, selon la ministre. Mais la vie culturelle reste très modeste dans le pays. En deçà des attentes. Approchée par La Presse, Cyrine Gannonun, directrice du théâtre El Hamra et entrepreneure culturelle, impute cet état des lieux à l’absence d’une vraie volonté pour promouvoir une vraie politique culturelle. « On ne peut point promouvoir la scène culturelle et initier une politique en la matière du jour au lendemain et d’une manière non pensée, intempestive. Il n’est pas non plus suffisant d’approuver des projets de loi pour parler d’une politique culturelle. Cela nécessite plutôt un travail de longue haleine et une volonté pour passer de la théorie à la pratique, du verbe à l’action », insiste-t-elle.

Travaillant longuement sur les politiques culturelles, Cyrine Gannoun rattache la dynamisation de la scène culturelle à une gestion institutionnelle des projets culturels et à l’importance des fonds disponibles. Elle revient sur une expérience pilote, lors de son passage au ministère de la Culture, et insiste sur le travail de terrain comme locomotive pour tirer vers le haut la pratique culturelle.

« L’initiative d’un projet “Tounes Balad El Fenn“ (La Tunisie, pays des arts), au centre d’un partenariat entre le ministère de la Culture et l’ONG El Mawred al thakhafy » a permis de former au management culturel quelque 120 Tunisiens et de financer 30 projets », précise notre interlocutrice, en soulignant l’importance de se positionner à l’international et aux organismes internationaux pour explorer de nouvelles pistes, ouvrir le champ du possible pour les artistes et projets tunisiens.

Dans la même optique, Gannoun plaide pour les co-productions dans la mesure où elles permettent de faire découvrir les différentes expressions artistiques tunisiennes dans diverses régions du monde.

Au-delà de la culture de masse…

Un fait aujourd’hui établi. Il y a la société de masse qui consomme la culture de masse. Ce rapport dialectique entre la société de masse et la culture de masse implique l’intervention de l’État, via ses services compétents et concernés, en vue de parer à l’hégémonie d’une culture ambiante, dominante qui ne fait que servir le conformisme de la pensée unique et le nivellement par le bas du goût public. D’où la nécessité de doter les centres d’arts dramatiques et le reste des établissements culturels d’une véritable autonomie pour mettre en œuvre des stratégies conçues tout au long de la décennie écoulée, d’après la même entrepreneure culturelle, qui sommeillent dans les tiroirs.

De l’avis d’un chercheur joint par La Presse, il faut être bien éduqué pour apprécier la culture. Sauf qu’en Tunisie, la culture semble être réservée à une élite qui cultive l’entre-soi.  « C’est devenu une affaire de positionnement social, c’est-à-dire être suffisamment cultivé pour savoir apprécier la culture », note l’universitaire et homme de culture Abderrahmane Kablouti.

Selon lui, la production artistique « assez déplorable » qu’on connaît aujourd’hui est inspirée des visions étriquées des politiques culturelles qui ne parviennent pas à transcender les barrières, s’élever et élever.

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